vendredi 8 mars 2013

Accueil dans l'Eglise des personnes remariées après un divorce : de Cana à Samarie



La lettre diocésaine de janvier 2013 évoque un thème de travail actuellement en chantier au Conseil presbytéral : l’accueil des personnes remariées après un divorce.
Une vidéo présente l’une des démarches pastorales actuellement en œuvre dans ce domaine et des sessions intitulées : De Cana à Samarie.   L’accueil se veut sans aucun doute bienveillant. On y propose de relire et relier la première union qui ne saurait être sacramentellement dissoute et la seconde, chemin de la vie présente.  Relire et relier : chaque être humain, chacun de nous devons assumer nos limites,  nos contradictions, les engagements que nous n’avons pu bien tenir… et voir comment la Vie parmi tout cela fraye son chemin ; dans cette situation particulièrement, en raison du sacrement, quoiqu’il n’y ait pas qu’à propos du mariage que des engagements devant Dieu puissent être rompus. Enfin à ce parcours de réunification de la vie nous sommes tous convoqués pour être en vérité, au plus juste de notre responsabilité et dans la confiance de l’Amour qui nous dépasse.
 C’est généralement le chemin qui conduit à la « Réconciliation » quand il se fait en Église et sous le regard du Christ…

Ce qui interroge plus, c’est la référence biblique : « De Cana à Samarie » .
 Sur Cana on ne s’attardera pas. Jésus, invité à une noce, y fait couler à flots le vin, signe de l’Alliance : plénitude, allégresse ; signe du Royaume en quelque sorte. Le mariage – non encore sacramentel- en est l’image.
 Quant à Samarie …(Jn , 4,1-30 )  Cette femme vient puiser l’eau à midi, heure insolite qui pourrait indiquer qu’elle est plus ou moins paria, à moins que cette heure du soleil étouffant ne soit le signe d’une soif commune. A l’encontre de toute convention et même de toute convenance, Jésus s’adresse à elle, qui est une femme, elle, qui est une Samaritaine, un peuple traditionnellement tenu à l’écart par les Juifs. Un court dialogue amène la femme à demander l’ « eau vive », l’ « eau de la Vie éternelle » ; la demander suppose que l’on y croie et que l’on croit en celui qui peut la donner.
Peut- on penser qu’il lui est dit, comme affirmé dans la vidéo, qu’elle la recevra « à la condition » de pouvoir présenter une situation matrimoniale réglementaire ?   Durant les sessions De Cana à Samarie cette lecture- là est- elle univoque ?
 Quoiqu’elle soit sans mari ou qu’elle en ait eu trop,( 5,6 ?), et qu’elle se tienne devant Jésus dans la transparence d’une vie marquée de cicatrices, de manquements, notamment sur le plan conjugal, c’est à elle qu’il demande à boire, c’est à elle qu’il offre l’eau vive, c’est à elle qu’il révèle sa messianité, elle est même dans cet Évangile le  premier être vivant qui en reçoit l’annonce :
« - Je sais qu’un Messie doit venir, qu’on appelle le Christ

- Je le suis moi qui te parle »
Et la voilà qui part dire la bonne nouvelle et les habitants de Sichem viennent à Jésus. L’historienne E. Dufourcq dit que la Samarie fut le berceau de nombreuses communautés de l’Église primitive. Elle a donc reçu l’Eau vive, elle qui venait chercher l’eau qui n’éteint pas durablement la soif, elle a voulu la partager, elle fut peut-être la première missionnaire parce qu’elle a rencontré Jésus et qu’elle l’a reconnu.
Tirer de cet Évangile-là  l’idée ou la justification que les personnes remariées après un divorce ne peuvent plus participer à l’eucharistie jusqu’à ce que la mort d’un des époux ne vienne défaire les liens , parce qu’ils ne sont plus en mesure de donner le « signe » de l’alliance, est tout de même très étonnant. On pourrait dire plutôt que la miséricorde du Christ telle l’eau vive lave toute faute – quand « faute »  il y a-  dès lors qu’elle est reconnue sous son regard. Dans l’ensemble de l’Évangile ne cesse-t-il pas de réintégrer pleinement dans le groupe ceux qui pour diverses raisons en sont exclus ( publicains, infirmes et malades, femmes pécheresses, femmes surtout parce que c’est elles surtout qui sont stigmatisées). De plus, souvent il insiste pour aller manger chez eux autant que chez les pharisiens.

L’accueil dans la Communauté ecclésiale des personnes divorcées remariées a constitué un grand pas pour l’Église, la bienveillance dans la plupart des cas de l’accueil pastoral est certaine. La rigueur de la discipline, sans limite de temps , qui les écarte de la Réconciliation et de l’Eucharistie s’ils vivent une nouvelle union interroge. La notion de « communion de désir » ne peut masquer la gravité de cette privation, alors même que l’Église proclame que « l’eucharistie est la source et le sommet de toute vie chrétienne » et que dans cette parole on sait bien que la communion à la table du pain et au corps du Christ est le cœur de la célébration. Et combien d’entre nous, quand ils vont communier, ressentent la peine de leurs frères comme un manque à leur allégresse, une question posée à l’unité du corps du Christ ?
On ne peut aborder ici les questions théologiques qui sous-tendent cette discipline, les voies possibles pour la faire évoluer en prenant  au sérieux le sentiment si partagé par un grand nombre de prêtres et de laïcs que cette situation n’est pas tenable et même qu’elle n’est pas franchement évangélique. Mais, pour ce qui est de la Samaritaine, elle a reçu l’eau vive sans condition  aucune parce qu’elle a ouvert son cœur à celui qui l’attendait, je ne saurais lire ce texte autrement. Du vin des noces de Cana à l’eau vive de Samarie ce qui jaillit, loin de toute idée de sanction ou d’indignité, c’est l’allégresse de la miséricorde : là où il y a du manque, elle instaure plénitude, relation, abondance de l’amour, réjouissance de tous ensemble en Christ. L’Esprit souffle où il veut…

article rédigé par Marie- Claude Peyvieux, co-signé par Christine Taussat
mis en ligne par Jean Derouault le 08/03/2013

1 commentaire:

klod a dit…

Je partage votre point de vue. Il me semble qu'il faudrait aussi citer Jn 8 dans le débat.

Sur ce sujet, il me semble aussi que vous auriez avantage à approfondir et citer les échanges entre les cardinaux W. Kasper et J. Ratzinger de 1993 (1). Ils tracent la "tension" qui existe entre un souci théologique de garder la particularité du mariage chrétien et l'accueil pastoral des personnes qui, en conscience, cherchent à reconstruire une vie d'amour et de partage dans l'Eglise. Ces échanges éclairent les enjeux théologiques du débat. Je vous signale également la publication de mon livre: "le vieil homme et la perle"(2), un petit roman qui cherche à traiter de cette même difficulté pastorale. En mettant en scène une paroisse confrontée à l'accueil d'un couple de divorcé désireux de s'engager dans l'église, il cherche à explorer les solutions pastorales, à la lumière de ces recherches théologiques et pastorales.
Claude Hériard

(1) cf. notamment La Documentation catholique, 6 novembre 1994, n° 2103, p. 930ss
(2) http://www.avre-passion.fr/romans